François Gemenne : L’écologie n’est pas un consensus

Alors que les circonstances devraient y conduire, l’écologie ne parvient pas à s’imposer comme la force politique dominante du XXIe siècle. Les signaux d’alarme concernant les destructions de l’environnement n’ont jamais été aussi forts, le climat est désormais une des principales préoccupations des Français, et pourtant… Alors que les activistes demandent aux gouvernements d’agir davantage pour le climat, les résultats des élections envoient un tout autre signal aux dirigeants.
Cet ouvrage explique les raisons de cette apparente contradiction, et pointe les limites de la démocratie représentative dans sa capacité à mener des politiques transformatrices pour la protection du climat ou la biodiversité. S’il existe un large consensus dans la société pour reconnaître la situation alarmante de l’état de l’environnement, ce consensus disparaît dès qu’il s’agit d’évoquer les solutions, et fait volontiers place aux caricatures ou aux indignations stériles.
Si la démocratie représentative apparaît comme une impasse, la situation n’est pas désespérée pour autant : la démocratie ne se réduit pas aux élections, et l’ouvrage montre comment un changement peut advenir en explorant d’autres voies… sans passer par une « dictature verte ». A condition d’avoir les yeux grand ouverts sur les raisons sur lesquelles nous échouons.

Essai – Fayard, 2022. 120 pages.


« Nous avons tort de trop attendre des COP ou des gouvernements : nous n’avons à nous en prendre qu’à nous-mêmes. C’est nous qui somme collectivement responsables de nos propres déceptions. »

L’écologie n’est pas un consensus est un essai très court d’un professeur de politiques du climat et des migrations. Il s’y attache à analyser le phénomène d’inaction climatique du gouvernement et plus précisément des difficultés qu’a le système de démocratie représentative pour faire entrer les enjeux climatique dans le paysage politique. Je me propose aujourd’hui de résumer succinctement les grandes idées soulevées par François Gemenne.

Ce que j’ai pensé de l’essai

Je suis déjà plutôt sensibilisée au sujet, ainsi je ne peux pas dire que ce livre ait été très éclairant puisque j’avais déjà la plupart des arguments déjà en tête. Les grands traits de la pensée de l’auteur sont intéressants mais il m’a manqué de la profondeur pour vraiment me passionner. En revanche, quelques points un peu novateur ont éveillé ma curiosité. Je pense que cet essai est fait pour sensibiliser aux rapports entre démocratie et enjeux climatiques. Il est parfait si vous voulez découvrir le sujet mais n’apportera pas grand chose si vous vous y intéressez déjà.

Le sujet

L’auteur part d’un constat simple : il y a une dissension impressionnante entre les dires des experts, les demandes des activistes et associations qui luttent pour le climat et ce que le gouvernement met en place en pratique. Il y a donc là un paradoxe qu’il va chercher à expliquer sous plusieurs angles : la cause du climat, la manière dont nous votons, les conflits engendrés et la démocratie en elle-même sont autant d’obstacles entre notre manière de concevoir la démocratie et l’action climatique concrète.

Quelques idées à retenir

Je ne cherche pas dans cet article à retranscrire avec précision la pensée de l’auteur. Je choisis alors quelques notions qui m’ont frappées dans ma lecture et qui ont amorcé une réflexion chez moi.

  • Il y a trois pratiques paraissant en apparence consensuelles qui pourraient mener à des situations d’inactions. La première est de former les élus aux enjeux climatiques : cela risquerait de dépolitiser les enjeux autour du changement climatique en leur donnant une unique coloration scientifique. Il faut le faire, mais ce n’est pas suffisant selon l’auteur. Ensuite, dénoncer les comportements individuels climaticides serait contre-productif car cela ne servirait qu’à cristallier la frustration et à faire apparaître les efforts que l’on fait par ailleurs comme vain. Enfin, se fixer des objectifs trop ambitieux n’est pas motivant, et au contraire leur aspect irréalisable ne donnera pas d’impulsion de départ à la réduction d’émissions de gaz à effet de serre. A ce titre, les fameux accords de Paris qui promettent de limiter le changement climatique à 1,5°C sont déjà caducs car cette limite symbolique a de grandes chances d’être dépassée au début des années 2030.
  • Le temps politique, qui se joue généralement au quinquennat, n’est pas en adéquation avec le temps climatique qui 1) se déroule sur des dizaines d’années, 2) comporte une composante inertielle : nos actions d’aujourd’hui auront un effet concret demain. Ainsi, les engagements politiques environnementaux d’aujourd’hui n’auront pas d’impact direct sur notre vie mais sur celle de nos enfants. Les électeurs auront donc tendance pour la plupart à mettre de côté ces promesses électorales pour se concentrer et donc voter pour ce qui les concerne de manière directe, comme par exemple le pouvoir d’achat. L’enjeu est donc de réussir à concilier d’une part les bénéfices économiques à court terme tout en créant des bénéfices écologiques à long terme (objectif par exemple parfaitement acquis avec la rénovation énergétique qui réduit la facture ainsi que le besoin en énergie).
  • La dernière idée que j’ai trouvé très intéressante – et celle que j’ai le plus envie de creuser ! – est l’idée selon laquelle attendre qu’une majorité de français prenne conscience du problème pour voter pour un candidat écologiste par exemple semble vain. L’auteur met en lumière l’importance de la minorité active sur la majorité passive. C’est le concept des lobbies ou des médias : un petit groupe de personne proposant des solutions aura plus de pouvoir qu’une masse qui n’en propose pas. Comme cela a éveillé ma curiosité je me suis procurée la référence principale qu’il donne : Psychologie des minorités active de Serge Moscovici qui est en fait un papier de psychologie sociale. Je ne sais pas ce que ça peut donner mais j’ai envie d’essayer !

Pour terminer (parce qu’on est quand même sur un blog littéraire)

Je tiens finalement à souligner que le livre est très bien écrit et exceptionnellement accessible. Pas besoin d’avoir l’habitude de lire des essais (ou de lire tout court…) pour réussir à accrocher à ce livre. Il est très documenté, y compris avec des exemples tirés de l’actualité proche comme la crise des Gilets Jaunes en 2018/2019. Je vous le conseille si vous vous intéressez à l’écologie et l’environnement et vous retrouvez souvent à pester contre vos élus car leurs actions ne sont pas à la hauteur du défi. L’écologie n’est pas un consensus met le doigt sur le problème plus général l’inadaptation du système à la crise dans laquelle nous entrons aujourd’hui, et sur les conflits qui peuvent embraser un système démocratique déjà mis à mal.

A lire aussi :

  • Léo Cohen, 800 jours au ministère de l’impossible. (Les petits matins, 2018) C’est sur le même sujet mais écrit par un ancien conseiller de ministres de l’environnement (Barbara Pompili et François de Rugy). Léo Cohen est l’un des organisateurs de la Conférence Citoyenne sur le Climat.
  • Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives.

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