C.A. Fletcher : Un gars et son chien à la fin du monde

Griz vit avec sa famille et ses chiens sur une île au large de l’Écosse. Ses premiers voisins sont à trois îles de là, et les suivants… si loin que ce ne sont sans doute plus des voisins. En fait, si Griz additionnait toutes les personnes croisées au cours de son existence, on pourrait à peine former une équipe de football. Car, une génération après la Castration, la Terre compte moins de dix mille habitants. Et pas beaucoup de chiens.
Alors, quand on lui vole un des siens, son sang ne fait qu’un tour.
Ainsi débute l’épopée de Griz au cœur des vestiges de notre civilisation laissée à l’abandon, avec pour seuls compagnons son autre chien, son journal et la nostalgie d’un monde entraperçu au travers des livres trouvés sur son chemin.

Roman de science-fiction publié par Nouveaux Millénaires en 2019. Titre original : A boy and his dog at the end of the world. Traduit de l’anglais écossais par Pierre-Paul Durastanti.


Je sais bien qu’on ne peut pas éprouver de nostalgie pour ce qu’on n’a jamais connu, mais c’était ce sentiment que les livres m’évoquaient le plus souvent.

Il est de ces livres qui traînent une éternité dans la bibliothèque avant que l’on daigne les ouvrir. Certains d’entre eux auraient mieux fait d’y rester ; d’autres nous aspirent dans un monde que l’on n’aurait pas imaginé, qui ne nous intéressait pas de prime abord, mais dans lequel on aimerait rester. Un gars et son chien à la fin du monde en fait partie. Je ne suis habituellement pas fan de science-fiction, et ce roman apocalyptique au titre quelque peu enfantin ne me faisait pas rêver. J’ai choisi de l’ouvrir trois ans après l’avoir baladé avec moi de bibliothèque en bibliothèque, repoussant le moment de m’y plonger. Finalement, ce livre est une très très bonne découverte.

Le titre et la couverture sont évocateurs. Si le premier inspire très directement la dimension post-apocalyptique du livre, la seconde dépeint un monde en friche où la ville et la végétation se mêlent. Ces deux éléments ensemble crée un air à la fois mystérieux et pourtant pas tant que ça – le titre est équivoque, la quatrième de couverture plante déjà le décor, bref. A première vue, on en sait beaucoup et pas beaucoup à la fois. Pourtant, je peux vous assurer qu’on ne peut pas être prêts pour la lecture de ce livre, tout simplement parce que C.A. Fletcher a un don pour nous balader, nous faire croire des choses, nous manipuler. L’histoire est simple : on suit un jeune garçon dont la chienne a été volée et qui poursuit le ravisseur afin de la récupérer. Il peut vous sembler réagir un peu trop fort, mais la raison pour laquelle Griz, c’est son nom, saute dans son bateau et traverse la mer sans réfléchir, c’est que dans son monde, il n’y a plus beaucoup de chiens. Il y a des années, une Castration a eu lieu et les humains sont devenus pratiquement incapables de se reproduire, ce qui fait qu’ils sont désormais très peu sur Terre ; et les chiens encore moins. La chienne de Griz était donc précieuse.

Ces gens-là sont dangereux, parce qu’ils croient qu’ils agissent sur l’ordre de leur dieu. Ça signifie qu’ils n’ont pas besoin de se comporter comme des êtres humains.

Sa quête nous mène dans les ruines du Royaume-Uni actuel, même si on est assez peu guidés géographiquement – ce n’est pas l’intérêt du livre. Ce qui m’a marquée en tant que lectrice contemporaine, c’est le rapport viscéral qui se tisse entre l’homme et la nature. Les endroits où de nos jours l’humain est roi se retrouvent ensevelis sous les décombres, pillés, massacrés, et la végétation reprend le dessus. Les descriptions d’espaces naturels sont très vivaces dans le roman et donne une toute nouvelle dimension à l’apocalypse, qui tranche radicalement avec ma récente lecture de Ravage de Barjavel dans lequel, au contraire, il n’y a rien de beau dans la fin du monde. Cet ancrage dans une nature luxuriante et le rapport qu’ont les survivants à leur environnement est pour moi l’une des raisons principales pour lesquelles ce roman vaut la peine d’être lu.

Les aventures de Griz sont palpitantes, et, croyez-moi, pleines de surprises, même si la fin est légèrement bâclée à mon goût. La narration est extrêmement bien menée, et je pense que ce qui donne à ce roman tout son dynamisme est le suspense saupoudré tout au long de la lecture. Des petits bons en avant se succèdent, des phrases : « Je ne savais pas encore que cela allait me sauver la vie ». Ce qui pourrait parfois passer pour du réchauffé, de l’anticipation mal amenée, est en fait la touche de baguette magique qui donne envie de dévorer le livre, puisque, oui, on a parfois du mal à s’en détacher !

Il y a de l’action (malgré quelques longueurs), des personnages attachants, et un dénouement en forme de point d’interrogation : Griz va-t-il récupérer sa chienne ? L’aspect post-apocalyptique est bien mené même s’il reste assez peu détaillé. Je pense que cela est parfait pour les novices en science-fiction comme moi : rien de trop complexe qui risquerait de nous perdre. C’est pour cela que je l’ai autant apprécié, mais peut-être que cela pourrait frustrer les puristes (même si j’en ai vu de mes propres yeux adorer ce roman !). L’auteur nous fait parfaitement rentrer dans l’ambiance et cela fonctionne à merveille dans le roman.

Je recommande ce roman aux amateurs de post-apocalyptique qui veulent lire un roman rafraîchissant, aux novices du sujet qui comme moi veulent se sortir de leur zone de confort, et aux amateurs de romans d’aventure qui cherchent à s’évader un peu. N’hésitez pas à découvrir cette petite pépite méconnue !


(Je suis désolée mais je ne trouve pas de photo de qualité pour l’auteur)

CA Fletcher est un auteur écossais qui écrit pour la télévision. A boy and his dog at the end of the world est son premier roman pour adultes.

Marguerite Duras : Un barrage contre le Pacifique

D’une facture romanesque relativement classique, l’ancrage des personnages de ce roman dans le réel préfigure cependant cette « écriture de l’indicible » qui marquera plus tard la singularité de l’écrivain. Un barrage contre le Pacifique inaugure une série de romans d’inspiration autobiographique ayant pour cadre le Vietnam. Le récit s’articule autour du personnage de la mère, une femme qui, dans sa lutte contre la misère, brave à s’en rendre folle les obstacles infranchissables qui se présentent à elle. À l’image du titre, les ambitions, aussi nobles soient-elles, ne peuvent être que démesurées et toute tentative s’avère inéluctablement vouée à l’échec. Lorsque tout finit par être rongé, sali, violé, c’est aller au-delà de la souffrance, au-delà du pathétique. Car la douleur est sans fond, la perte est définitive, aucune trace de compassion dans ce roman de l’irrémédiable. Une oeuvre qui n’émeut pas mais qui bouleverse, parce qu’elle exprime le réel à l’état brut dans la trivialité de la concupiscence, dans la perte de toute émotion, dans l’acharnement à vouloir survivre malgré les autres.

Roman classique de Marguerite Duras publié en 1950 chez Gallimard.

On ne pouvait pas lui en vouloir. Elle avait aimé démesurément la vie et c’était son espérance infatigable, incurable, qui en avait fait ce qu’elle était devenue, une désespérée de la vie même.

Si vous me suivez depuis suffisamment longtemps, vous ne pouvez pas avoir loupé mon article sur L’amant de Marguerite Duras, qui avait été un bouleversement de magnificence pour moi. J’avais été sincèrement marquée par cette lecture, si bien que j’avais très hâte d’entamer Un Barrage contre le Pacifique (anecdote : c’était le livre sur lequel portait mon bac de français !). Finalement, même si cette lecture m’a franchement moins marquée, j’en garde une image plutôt positive.

Dans un premier temps, je commence par un disclamer qui me semble utile : Marguerite Duras, soit on l’adore, soit on la déteste. Il y a quelque chose dans son écrit, un côté brut, sans ambages, qui me touche énormément mais qui peut faire fuir les lecteurices. Voici un extrait de commentaire négatif que j’ai pu recueillir : « Je n’ai absolument pas aimé. Il n’y avait pas d’histoire. Les personnages principaux sont détestables, même leur misère ne fait pas ressentir de pitié. Les scènes sont ennuyantes et vulgaires. Il n’y pas de morale ou d’intérêt tout simplement ! Je me suis vraiment forcée pour continuer et finir. » Il est difficile pour moi d’adhérer à ces propos tellement je suis en désaccord avec ce qu’ils expriment.

1. « Il n’y a pas d’histoire. » Au sens conventionnel du terme (c’est à dire celui que l’on apprend en cours de français : situation initiale – perturbation – péripétie, etc etc), non, il n’y a pas d’histoire, c’est vrai. En tous cas, il est vrai que le récit n’est pas linéaire. On suit la vie d’une famille française installée dans l’Indochine coloniale qui vit dans la misère la plus absolue : obligée de manger de l’échassier à tous les repas, avec les vers du toit qui leur tombent dans l’assiette. La construction du roman se fait autour de l’idée que la misère vous colle à la peau et que la moindre tentative pour en sortir est vouée à l’échec. Lorsque la mère de Suzanne entre en possession d’un diamant, il devient impossible pour elle de le vendre, alors que l’argent qu’elle en tirerait servirait à payer ses dettes. L’ironie de cette situation porte le récit. Mais je pense, en effet, que ce que l’histoire raconte n’est pas le grand intérêt du livre.

2. « Les personnages principaux sont détestables, même leur misère ne fait pas ressentir de pitié. » Peut-être que la clé est là : les personnages ne sont pas là pour nous faire ressentir de la pitié. Au contraire, leur histoire sordide évoque chez lae lecteurice le dégoût, la haine et même une sorte de honte : on a honte de la mère qui perd peu à peu les pédales. Le personnage de Suzanne, la narratrice, est attachant : on a envie de lui dire de s’en aller, de s’enfuir avec M. Jo qui la courtise, et d’abandonner sa famille vouée à la misère la plus absolue. Son frère Joseph évoque une haine sourde mais incarne aussi la fuite, la recherche d’un monde meilleur que l’on peine à apercevoir dans les méandres du roman. Bref, les personnages principaux sont détestables, mais chacun exprime une idée différente : la mère est celle qui reste cloîtrée dans la misère, qui est trop habituée à l’obscurité pour chercher à voir la lumière ; Joseph est celui qui palme un peu du fond de son étang pour remonter vers la surface mais qui est empêtré dans les algues ; quant à Suzanne, elle est un peu entre les deux.

C’est pas que je l’empêche de coucher avec qui elle veut mais vous, si vous voulez coucher avec elle, faut l’épouser. C’est notre façon à nous de vous dire merde.

3. « Les scènes sont ennuyantes et vulgaires. » Oui. C’est vrai. Les scènes sont ennuyeuses pour mimer l’ennui qui rythme les vies de la famille. Les esprits des protagonistes sont relativement étriqués. La mère de Suzanne ne pense qu’à l’argent, l’argent que peut lui ramener le diamant de M. Jo. Suzanne semble être un être de vent et de vide, suivant les volontés de sa mère et l’opprobre de son frère. Oui, il y a de la vulgarité. Mais je trouve que tous ces aspects, qui, individuellement, peuvent nous faire grincer des dents, participent à l’atmosphère général du livre : une atmosphère bizarre, lugubre, crasseuse. C’est un livre qui traîne avec lui littéralement toute la misère du monde. Et pour cela, je trouve que Marguerite Duras est vraiment une autrice géniale. En ouvrant ce livre, vous serez vraiment transportés en Indochine et le lieu vous engluera jusqu’aux hanches, et ne vous laissera sortir que lorsque vous aurez le fin mot de cette famille que l’on dirait maudite. Je vous conseille le voyage, il vaut le coup.


Marguerite Duras, de son vrai nom Marguerite Donnadieu, a connu un succès immense avec son roman L’amant, prix Goncourt en 1984. Elle est connue pour son écriture déstructurée.

Taylor Jenkins Reid : The Seven husbands of Evelyn Hugo

À l’aube de ses quatre-vingts ans, Evelyn Hugo, légende du cinéma, est enfin prête à dire la vérité sur sa vie aussi glamour que scandaleuse. Mais quand cette actrice, vieillissante et solitaire, décrète qu’elle fera ces révélations à Monique Grant, journaliste pour un obscur magazine, personne ne comprend son choix. La journaliste décide de saisir cette occasion pour lancer sa carrière. Elle écoute avec fascination l’histoire de cette actrice mariée sept fois. Une histoire d’ambition, d’amitié et d’amour défendu. À mesure qu’elle recueille les confidences d’Evelyn, la journaliste comprend que leurs destins sont étroitement liés…

Roman historique de Taylor Jenkins Reid paru aux éditions Atria Books en 2017.

Men were almost never with me for my personality.

J’ai commencé ce roman très plébiscité dans mon long voyage de bus entre Bologne et Toulouse. Je cherchais un livre facile à lire pour occuper ces 18 longues heures durant lesquelles trouver le sommeil n’est pas toujours évident et où il ne faut pas languir de sa lecture, sinon elle devient détestable. The Seven husbands of Evelyn Hugo a parfaitement rempli cet objectif ! Pour autant, je ne pense pas l’avoir adoré autant que certains lecteurs dont j’ai pu lire les retours. Ma lecture commence un peu à dater mais j’ai suffisamment de recul pour enfin comprendre ce qui m’a gênée.

Le pitch s’articule parfaitement autour du titre. Evelyn Hugo, actrice à la retraite depuis bien des années, livre ses mémoires à Monique, une jeune journaliste. Et quels mémoires, puisqu’elle s’est mariée pas moins de sept fois au cours de sa longue vie, ce qui est assez peu habituel. Mariages d’amour ? Mariages vénaux ? Quête de réputation ? Que cherchait Evelyn en menant une vie si décousue ? C’est ce que Taylor Jenkins Reid va nous exposer en sept parties organisées par ordre chronologique : une par mari.

Vous l’avez donc compris, ce livre conte la vie et l’oeuvre d’Evelyn Hugo, par l’intermédiaire d’une petite journaliste qui affirmera son caractère au cours du roman. Ici, j’ai deux remarques à faire. D’abord, ce procédé nous plonge entièrement dans le glamour hollywoodien, des années 40 à nos jours, et ses dessous qu’il vaut mieux ignorer. Evelyn Hugo est une Marilyn, une icône, un idéal féminin, et une partie du livre tourne autour de ces sujets. Les rapports entre les différentes parties prenantes dans la réalisation d’un film étaient intéressants, ainsi que les rapports de pouvoir qui s’établissent entre elles. Le revers de la médaille est le sur-place que m’a inspiré The Seven husbands of Evelyn Hugo. J’ai trouvé que cette immersion dans la vie de l’actrice manquait d’évolution. Toujours les mêmes tourments animent les protagonistes, toujours les mêmes réactions font évoluer l’intrigue qui devient alors très redondante et prévisible. De même, j’ai trouvé qu’on n’allait pas toujours assez loin dans la psychologie des personnages alors que l’organisation du livre ainsi que le ton employé était adapté à vraiment les analyser en profondeur. D’ailleurs, j’ai trouvé qu’il y avait un côté « liste » au roman. Sept maris, c’est beaucoup. Sept fois on tourne autour du pot, on comprend comment Evelyn en vient à épouser chacun de ses maris, mais à la longue, on ne rentre plus vraiment dans les détails. Ce qui fait que j’ai oublié la moitié des maris à peine le livre refermé (peut-être était-ce voulu ?).

Ce qui distingue (et de très loin) ce roman est le thème principal qu’il aborde. Je ne peux pas aller dans les détails car ce serait divulgâcher et ôter au roman son intérêt même. Mais sachez que c’est un thème que l’on retrouve assez peu dans la littérature en dehors du rayon associé. Contrairement à la forme de superficialité évoquée plus haut, ce thème est largement explicité, avec les problèmes qu’il soulève, les questionnement que cela engendre et surtout l’évolution de la vision avec le temps (puisque le roman s’étale sur une soixantaine d’années). J’ai trouvé cela très intéressant d’un point de vue des représentations. Un autre aspect du livre que j’ai trouvé passionnant est la manière dont les relations non romantiques sont autant valorisées que les relations romantiques. C’est assez rare dans un livre où le sujet principal est, justement, l’amour, au travers des aventures amoureuses d’Evelyn. Mais la famille et ses difficultés, et surtout l’amitié qui tourne a la fraternité, ont aussi leur place dans The Seven husbands of Evelyn Hugo. Je trouve que c’est important de revaloriser ces autres manières de faire famille dans des romans qui sont aussi lus.

Vous l’avez compris, j’ai un avis assez ambivalent sur la question. On a à la fois des thèmes intéressants mais un format un peu rébarbatif. En revanche, je peux vous assurer que l’écriture de Taylor Jenkins Reid est addictive, en plus d’être facile à lire en VO anglaise. Les chapitres courts fluidifient la lecture et rendent le bouquin idéal à lire dans un voyage en bus d’une vingtaine d’heures. Pour cela, j’ambitionne de lire d’autres romans de l’autrice, comme son autre best-seller Daisy Jones and the Six. Même si, comme je l’ai déjà mentionné, les personnages ne sont pas approfondis, l’autrice réussit à leur insuffler un vrai caractère et une vraie personnalité. Ce qui les rend, occasionnellement, très agaçants (j’ai franchement détesté le personnage de Celia par exemple).

Petit point négatif à signaler sur la fin qui était attendue mais que je n’ai absolument pas aimé, je trouve qu’elle ruine un peu le propos du livre et qu’elle était plutôt mal écrite, je n’ai pas compris les réactions des personnages. Cela a donné un ton très négatif à la fin de ma lecture.


Taylor Jenkins Reid est une romancière américaine. Ses grands succès comme One True Loves , Daisy Jones and the Six et The Seven husbands of Evelyn Hugo ont été adaptés en série, ou vont l’être.

Pierre Lemaître : Couleurs de l’incendie

Février 1927. Le Tout-Paris assiste aux obsèques de Marcel Péricourt. Sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l’empire financier dont elle est l’héritière, mais le destin en décide autrement. Son fils, Paul, d’un geste inattendu et tragique, va placer Madeleine sur le chemin de la ruine et du déclassement. Face à l’adversité des hommes, à la cupidité de son époque, à la corruption de son milieu et à l’ambition de son entourage, Madeleine devra déployer des trésors d’intelligence, d’énergie mais aussi de machiavélisme pour survivre et reconstruire sa vie. Tâche d’autant plus difficile dans une France qui observe, impuissante, les premières couleurs de l’incendie qui va ravager l’Europe.

Roman historique écrit par Pierre Lemaître et publié en 2018 par Albin Michel. Tome 2 de la saga Les enfants du désastre. Tome 1 : Au revoir là-haut. Tome 3 : Miroir de nos peines.

La conversation suivait un parcours immuable. La politique d’abord, puis l’économie, l’industrie, on terminait toujours par les femmes. Le facteur commun à tous ces sujets était l’argent. La politique disait s’il serait possible d’en gagner, l’économie, combien on pourrait en gagner, l’industrie, de quelle manière on pourrait le faire, et les femmes, de quelle façon on pourrait le dépenser.

 A première vue, ce livre a une place très compliquée en sa qualité de « suite » d’un livre à succès : Au revoir là-haut, qui a reçu le prix Goncourt et a même été adapté en film. Difficile donc de suivre un si illustre ancien. A propos, j’ai lu ce premier tome il y a quelques années et je me rappelle l’avoir trouvé très long et ne pas avoir réussi à vraiment me plonger dedans. Une suite me paraissait être une drôle d’idée. Mais je ne regrette pas de m’y être essayée puisque très honnêtement, ce livre ne se lit pas comme une suite mais comme un spin-off de Au revoir là-haut, et je pense qu’il en va de même pour l’ultime opus de la trilogie intitulé Miroir de nos peines que j’ai d’ailleurs d’ores et déjà dans ma pile à lire. J’ai adoré Couleurs de l’incendie !

Difficile de vous parler de l’intrigue du livre sans divulgâcher l’expérience incroyable qu’il constitue. Je vais donc me contenter de vous planter un semblant de cadre spatio-temporel : nous voici propulsé.es dans l’entre-deux-guerres. La Grande Guerre est un mauvais souvenir pour la famille Péricourt (la même que l’on suit dans Au revoir là-haut) mais les prémisses du nazisme semblent poindre en Allemagne. On assiste aux obsèques de Marcel Péricourt, le patriarche du premier opus, mais un événement très inattendu va alors perturber le cours de la vie de Madeleine Péricourt, sa fille. Les rocambolesques événements qui vont s’enchaîner par la suite vont la transformer des pieds à la tête.

A toustes celleux que l’aspect « suite » effraie, je vais vous dire la vérité : on peut lire ce roman de manière indépendante (je ne me rappelais absolument pas du premier opus !). Aucun rapport donc si ce n’est les personnages, quelques références mais très légères et espacées. En revanche c’est le même type de roman historique, la même construction dans la tension et le même détricotage progressif qui amène adroitement au dénouement. Le personnage principal est Madeleine Péricourt, très annexe dans Au revoir Là-haut. On se rappelle vaguement d’elle mais on la redécouvre entièrement dans Couleurs de l’incendie.

Ce roman se distingue par deux choses : d’abord, son intrigue. C’est un véritable page turner, on a du suspense, de la trahison, des relations qui se nouent et se dénouent au fil des pages. La montée en tension est très notable : le début plante un décor, qu’on connaît plus ou moins, et les premiers éléments perturbateurs apparaissent, les murs de l’intriguent se montent peu à peu, avant d’être détruits à grands coups de masse dans les 150 dernières pages. Bref, on se régale. Je pense que ce roman est franchement imprévisible ; impossible de savoir comment Madeleine va sauver sa peau. Certaines intrigues secondaires font crisser des dents, certains personnages agacent parfois, mais je pense honnêtement que c’est là tout le génie de l’auteur qui voulait précisément nous voir détester certaines de ses créations. Bref, ce livre vous attrape et vous laisse difficilement repartir.

Le second aspect qui sublime Couleurs de l’incendie est la diversité des sujets abordés. La technocratie qui surgit en plein essor de l’industrie, les femmes dans l’entre-deux-guerres, le handicap, l’opéra. Autant de thèmes que l’on ne voit que très rarement dans la littérature – en tous cas dans celle que j’ai l’habitude de lire. Le plus inédit est l’époque (les années 30). On parle beaucoup des deux guerres mondiales mais rarement de la période entre les deux. J’ai beaucoup aimé cet aspect-là. J’apprécie beaucoup les romans historiques mais celui-ci a particulièrement eu mon coeur, en tous cas davantage que son grand frère qui a pourtant eu le Goncourt. J’ai déjà dans ma PAL le troisième tome de la trilogie intitulé Miroir de nos peines, qui se passe durant la Seconde Guerre mondiale, il me semble. J’ai hâte de le lire.


Pierre Lemaître est un auteur français, lauréat du prix Goncourt en 2013 pour Au revoir là-haut et le César de la meilleure adaptation en 2018 pour le même titre.

Mélissa da Costa : Tout le bleu du ciel

« Petitesannonces.fr : Jeune homme de 26 ans, condamné par un Alzheimer précoce, souhaite prendre le large pour un ultime voyage. Recherche compagnon(ne) d’aventure pour partager avec moi ce dernier périple. »

Émile n’a plus beaucoup de temps à vivre. Il a décidé de fuir l’hôpital, la compassion de sa famille et de ses amis. À son propre étonnement, il reçoit une réponse à cette annonce. Trois jours plus tard, avec le camping-car acheté secrètement, il retrouve Joanne, une jeune femme, qui a pour seul bagage un sac à dos, un grand chapeau noir, et aucune explication sur sa présence. Ainsi commence un voyage stupéfiant de beauté. À chaque détour de ce périple naît, à travers la rencontre avec les autres et la découverte de soi, la joie, la peur, l’amitié, l’amour qui peu à peu percent la carapace de douleurs d’Émile.

Roman contemporain de Mélissa da Costa. 838 pages. Paru en 2019 aux éditions Carnet Nord.

Parfois on laisse nos sentiments nous affaiblir. L’amour, le vrai, devrait toujours nous faire sentir plus grand. Jamais l’inverse.

J’ai lu ce livre un peu par « pression sociale ». Ma mère l’a acheté pour le lire, je voyais énormément de gens en parler et surtout l’adorer. Je ne suis pas une très grande lectrice des livres feel good (même si l’autrice refuse cette étiquette !) et je n’étais par conséquent pas particulièrement tentée par cette lecture mais finalement, une discussion avec une amie m’a faite changer d’avis sur le sujet. Au final, ce livre est pour moi comme un véritable haussement d’épaules. Effectivement, il est sympa et agréable, mais je ne le conseillerais pas particulièrement. Le défaut principal du livre ? Sa longueur.

La quatrième de couverture dépeint l’essentiel du roman : un jeune homme atteint d’Alzheimer précoce part en van dans les Pyrénées avec une jeune femme très taciturne. Les deux semblent porter de lourds et douloureux secrets qui seront distillés au long des 800 pages et quelques du roman. Au menu, de beaux paysages, des rencontres, des mini morales distillées à droite à gauche et surtout une sorte de roman initiatique, dans lequel chaque protagoniste se débarrasse de ses peurs au contact de l’autre. A certains moments on est à la limite du développement personnel. En soi, j’ai bien aimé le topo que nous propose Mélissa da Costa. C’est mignon, parfait pour l’été, ça donne envie de voyager dans les montagnes.

Mais faire 800 pages pour ça ? Pour un livre qui s’étend sur un axe temporel de seulement quelques semaines ? Evidemment, là-dedans, il y a beaucoup de passages à vide (c’est rare qu’il n’y en ait pas dans un roman si long). Je suis d’avis que diviser la taille du roman par deux aurait donné plus d’impact au texte sans en perdre la substance. Certains passages n’apportent rien et rallongent seulement un livre qui est déjà long.

En revanche, le livre se lit très vite puisque l’autrice a ce que j’aime appeler une « écriture-fleuve », c’est à dire qu’elle se dévore et est très addictive. Je butais seulement par moment sur les dialogues qui avaient un côté artificiel. Même s’il n’y a ni suspense ni tension, les chapitres s’enchaînent très naturellement et les personnages qui s’ouvrent au fil du récit nous donnent envie d’en savoir plus, chaque question étant progressivement remplacée par une autre. Il est parfois difficile de s’arrêter dans le flot de l’histoire. Même si j’ai beaucoup apprécié cet aspect, je ne peux pas cacher que par moments on peut lire trente minutes, une heure, sans que la situation de nos deux protagonistes n’ait évolué… C’est dommage.

Comme je le disais, Tout le bleu du ciel a un petit côté « roman initiatique ». Le focus est mis sur le développement des deux personnages principaux : d’un côté Etienne, atteint d’Alzheimer précoce, qui était engoncé dans ses croyances limitantes depuis tout jeune ; et de l’autre côté, Joanne, qui a vécu des épreuves très difficiles dans sa vie. Chacun a une influence sur l’autre qui fait qu’ils vont peu à peu ouvrir leur cocon, et cette évolution est très bien dépeinte par l’autrice, et fait toute la beauté du roman. Si bien que lorsqu’on tourne les dernières pages, on a une certaine sensation de clôture. Tout est bien qui finit bien, pour ainsi dire. En ce sens, ce roman fait du bien : on panse nos blessures aux côtés d’Etienne et Joanne. J’ai beaucoup aimé les citations de Joanne glissées au fil du texte, notamment celles relatives à L’alchimiste de Paulo Coelho que j’avais lu il y a quelques années et que j’ai envie de relire (mon article sur le sujet ici).

Le point négatif de cet aspect est le fait que tout semble se réaliser dans la relation amoureuse. Les relations amoureuses des personnages sont l’alpha et l’oméga du roman, là où il démarre et là où il finit. L’amour brise et l’amour réconcilie. Cependant, je pense que j’aurais aimé, dans cette quête de soi, que soient plus mises en valeurs les autres relations que l’on peut avoir (enfant/parent, amis…). Disons qu’elles existent, qu’elles sont présentes mais je trouve que l’autrice ne leur a pas laissé assez de place.


Née en 1990, Mélissa da Costa est l’une des autrices françaises les plus lues.

Toshikazu Kawaguchi : Tant que le café est encore chaud

Chez Funiculi Funicula, le café change le cœur des hommes.

À Tokyo se trouve un petit établissement au sujet duquel circulent mille légendes. On raconte notamment qu’en y dégustant un délicieux café, on peut retourner dans le passé. Mais ce voyage comporte des règles : il ne changera pas le présent et dure tant que le café est encore chaud.
Quatre femmes vont vivre cette singulière expérience et comprendre que le présent importe davantage que le passé et ses regrets. Comme le café, il faut en savourer chaque gorgée.

Roman fantastique japonais de Toshikazu Kawaguchi. Titre original : Kôhî ga semenai uchi ni. Traduit du japonais par Miyako Slocombe. 229 pages. Version française aux éditions Albin Michel.

Par sa force d’âme, l’homme peut surmonter la plus douloureuse des réalités. Cette chaise ne change peut-être pas le présent, mais si elle change le coeur des hommes, c’est qu’elle a sûrement une signification importante…

Pour être tout à fait honnête, je n’aurais jamais lu ce livre de moi-même. J’aime bien la littérature japonaise, mais elle m’a toujours laissé un goût d’inachevé, de superficialité. C’était sans compter la super équipe du forum livresque Livraddict, sur lequel je suis un peu active, qui organise mensuellement un club de lecture autour d’un thème et d’un livre. C’était la première fois que j’y participais, et je n’ai pas été déçue. Je vous invite, si vous aimez parler lecture et participer à des challenges, à rejoindre la communauté ! Je disais donc : je suis peu coutumière de la littérature japonaise, à deux tentatives près (Pluie Noire de Masuji Ibuse et Dites-nous comment survivre à notre folie de Kenzaburô Oe, pour les connaisseurs.ses), qui avaient été franchement moyennes. J’ai donc lu Tant que le café est encore chaud d’un oeil très critique mais surtout, nouvellement paré de connaissances de bases sur la culture japonaise puisque j’ai étudié la langue pendant deux ans. Cela a fait une grande différence dans ma manière de percevoir le livre et j’ai pu, finalement, l‘apprécier au point d’avoir envie de lire la suite !

Si je devais utiliser un mot pour qualifier ce roman, je dirais mignon. Il n’est pas lyrique, il n’est pas grandiloquent, l’univers qui se veut fantastique n’est ni des plus creusés ni des plus atypiques… mais il est mignon. C’est un véritable livre « feel-good« , mais pas au sens auquel on l’entend généralement. Le pitch est simple : boire un café au Funiculi Funicula, établissement tokyoïte, permettrait de remonter le temps. Si ce n’est pas ici un livre de science-fiction, c’est que l’auteur donne des règles précises au voyage temporel afin d’éviter les écueils classiques : 1) quoi qu’il se passe, le présent ne changera pas, et 2) le voyage dure tant que le café est encore chaud. Pourquoi ? Ce n’est jamais expliqué (pas dans ce tome en tous cas) car le devant de la scène n’appartient pas au pourquoi du comment, mais à quatre femmes, quatre clientes du café, qui vont faire le choix de remonter dans le temps l’espace de quelques instants. C’est très léger, très doux, et cela se lit miraculeusement vite.

Je qualifierais également ce livre de typiquement japonais. Maintenant que je sais un peu la politesse et la froideur qui règlent les rapports sociaux au pays du soleil levant, je comprends mieux ce côté « détaché ». Le narrateur, à la troisième personne, renforce cette impression de distance, presque d’atténuation, comme si on regardait la scène avec un casque sur les oreilles et des lunettes teintées. L’impression de douceur dont je parlais plus tôt vient aussi de ça. Par conséquent, il est un peu difficile de s’impliquer émotionnellement dans le texte. Les sentiments des personnages ne sont évoqués que très superficiellement et donnent au roman un côté un peu terre-à-terre qui m’a déplu et qui tranche franchement avec le fait que ce soit un roman fantastique. Mais les scènes et les dialogues paraissent être typiques de la culture japonaise et j’ai tout de même su apprécier cet aspect.

J’ai beaucoup accroché à l’intrigue. Je me suis attachée non seulement aux personnages mais à leur caractère et à ce qu’ils m’évoquaient. Même si le concept de voyage dans le temps est franchement redondant voire répétitif, on ajoute à chaque fois une couche de tranche de vie qui, je pense, déroule le roman dans le bon sens. Les personnages grandissent et évoluent beaucoup d’un chapitre à l’autre, et j’ai beaucoup apprécié cet aspect un peu « feuilleton ». Enfin, j’ai trouvé le roman « cyclique » grâce aux dernières pages, qui me donnent un peu l’impression de boucler la boucle et que le roman se suffirait à lui-même. Ce qu’il semble avoir manqué aux lecteurices de mon club de lecture, peut-être habitué.es aux romans fantastiques ou de science-fiction, c’est une explication. Un pourquoi du comment. Les règles du café paraissent grotesques, mais elles sont prises comme un acquis au début du livre et ne sont jamais ni discutées, ni expliquées. Pour ma part, j’ai rapidement compris que ce n’était pas le sujet du roman : le voyage dans le temps est pour moi plutôt un prétexte pour l’auteur pour faire passer son message. Ainsi, je n’ai pas spécialement ressenti de mystère au cours de ma lecture, et la non-réponse aux questions soulevées ne m’a pas gênée.

En revanche, il existe un deuxième tome, intitulé Le café du temps retrouvé, qui apparemment répond à toutes les questions que ce tome ignore complètement et que je me ferai un plaisir de lire. Je me suis de plus attachée aux personnages (malgré la distance toute japonaise qui est automatiquement posée entre eux et nous) et je me ferais un plaisir de les retrouver dans un autre opus. Il existe aussi un troisième tome, qui pour l’instant n’est traduit qu’en langue anglaise.

Pour conclure, ce livre est un petit bouquin sympathique qui vous fera passer le temps. L’histoire a une morale, implicite certes, mais qui n’est pas moralisatrice. Quatre histoires se succèdent, toutes impliquant des voyages dans le temps. Grand amateurs de SF, passez votre chemin, Tant que le café est encore chaud risque de vous frustrer. Lecteurs de littérature contemporaine, amants de la littérature japonaise, adorateurs des histoires sans prise de tête : foncez sans hésiter !


Koshikazu Kawaguchi est un auteur japonais originaire d’Osaka. Son roman Tant que le café est encore chaud s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires au Japon et est un bestseller international.

Salomé Saqué : Sois jeune et tais-toi

Les jeunes seraient « paresseux », « incultes », voire « égoïstes et individualistes ». J’ai entendu mille fois ces accusations à l’égard de la jeunesse : dans des dîners de famille, à la volée chez un commerçant ou portées par des éditorialistes remontés à la télévision. Ces jugements négatifs sont non seulement infondés, mais aussi délétères pour toute la société. Entre le chômage, la dégradation de la situation économique, la pandémie et l’urgence écologique, les jeunes doivent composer avec des paramètres inédits. De plus, les défauts qu’on leur prête sont souvent le symptôme d’une profonde incompréhension – d’un désintérêt ? – pour leurs préoccupations et leurs pratiques. De fait, que ce soit en entreprise, en politique ou dans les médias, les jeunes ont rarement voix au chapitre. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu leur donner la parole dans cette enquête afin de raconter les difficultés auxquelles ils font face et de montrer les solutions qu’ils proposent pour garder espoir en l’avenir. Car une chose est certaine : les jeunes ne correspondent pas aux clichés qui leur collent à la peau. Il est plus qu’urgent de changer de regard sur la jeunesse : la solidarité intergénérationnelle est indispensable pour faire face aux bouleversements qui nous menacent tous.

Tenter d’acquérir un bien immobilier sans apport est aujourd’hui aussi difficile que d’arriver dans une partie de Monopoly au dixième tour.

Sois jeune et tais-toi est un essai de la journaliste Salomé Saqué. Âgée de 28 ans, elle se penche sur la question de la jeune génération et des nombreux clichés qui sont entretenus à son sujet. A partir d’une centaine d’entretiens et de papiers de recherche, elle s’efforce de les démonter un par un et de tempérer la situation des jeunes aujourd’hui dans le contexte socio-écono-environnemental dans lequel nous nous situons.

Ce que j’ai pensé de cet essai

Je pense que ce livre m’a fait du bien, vraiment. J’ai 21 ans, et une sensation persistante que la jeunesse telle que je la vois, telle qu’elle m’entoure, est incomprise. A mes yeux, Salomé Saqué, en étayant ses propos – même si elle a tendance à ne pas rentrer dans les détails – donne l’essentiel des clés pour enfin essayer de voir la vie dans les yeux de celleux qui ont entre 18 et 30 ans (tel que l’autrice définit les « jeunes ») et enfin comprendre leur situation. Elle traite de beaucoup de sujets. Non, les jeunes ne sont pas fainéants. Non, les jeunes ne passent pas leur temps à jouer aux jeux vidéos. Oui, les jeunes s’intéressent à l’actualité. Mais pas dans la même manière que leurs parents ou que les baby-boomers qui occupent actuellement l’essentiel des postes à pouvoir. Oui, l’essai est parfois un peu décousu de par ses chapitres multiples qui peuvent passer du coq à l’âne. Oui, on manque (un peu) de profondeur dans certains cas. Mais il est direct, plein d’honnêteté, et va droit au but. Impossible de refermer ce livre sans être convaincus des propos de S. Saqué, pour peu qu’on se donne la peine de donner du crédit à la parole de ces jeunes, parfois en galère, parfois ayant du succès.

Alors oui, ce livre m’a fait du bien, parce que je me suis reconnue – ou j’ai au moins reconnu certain.es de mes ami.es, et, par ce biais, j’ai senti que la jeunesse avait été comprise. Bien que subissant probablement un biais de confirmation (les gens qui lisent le livre sont en principe déjà sensibles au sujet pour s’y intéresser), je pense quil permet d’ouvrir la parole autour d’une partie de la population, parfois encore étudiante, parfois déjà dans la vie active, qui reste invisible dans les journaux ou sur les plateaux télé.

Quelque idées évoquées dans le bouquin

  • Salomé Saqué rappelle dans l’introduction que : « la jeunesse ‘n’est qu’un mot’ et l’âge ‘une donnée biologique socialement manipulable et manipulée' ». Citant là des propos de Pierre Bourdieu, elle attire notre attention sur le fait qu’être jeune n’est pas le simple fait s’appartenir à une catégorie d’âge fixée, mais c’est en fait une construction sociale. Définir la jeunesse n’est donc pas une tâche des plus simples, et l’autrice s’appuie donc sur la définition de l’Insee : les jeunes seraient les personnes âgées de 18 à 29 ans. Mais séparer les « jeunes » et les « vieux » par une simple barrière d’âge n’est pas l’objectif du livre et serait même contre-productif. L’objet est de parler d’une classe qui subit un certain traitement médiatique et est rassemblée sous une certaine quantité de clichés.
  • Le « c’était mieux avant » est un refrain mille fois entendu, prononcé par toutes les générations à un moment donné. Tout simplement parce que les temps changent et évolue, et que lorsqu’on n’est plus jeune, on ne se reconnaît plus dans les nouvelles moeurs. Ainsi, d’après l’autrice, « taper sur les jeunes à tout bout de champ est un sport national dans bon nombre de médias, ce qui entretient une petite musique peu sympathique à l’endroit de la jeunesse ». Bref, on condamne les comportements des jeunes (quels qu’ils soient !), ce qui nous met sur une pente nous incitant à condamner encore plus le comportement des jeunes (vous voyez ce que je veux dire ?).
  • La « méritocratie » n’existe pas. L’autrice parle d' »éducation à deux vitesses […] : avec des moyens pour ceux qui en ont, sans moyens pour ceux qui n’en ont pas ». Elle dénonce ainsi la mainmise des écoles privées sur l’éducation et surtout la rengaine « si tu travailles, tu y arriveras » qui est en fait fausse : hériter marche mieux que mériter. L’accès aux grandes écoles paraît souvent réservée à une caste de privilégiés, et, si les jeunes n’y accèdent pas, ce n’est pas systématiquement de leur propre fait (un manque de travail ? une fainéantise ?) mais aussi du contexte dans lequel ils évoluent et dans lequel ils ont grandi. Ce système éducatif « à deux vitesses » creuse les inégalités entre jeunes privilégiés et issus de classes plus populaires, s’ajoutant à celle impliquée directement par leur différence de patrimoine (pour le Conseil d’analyse économique, « La part de la fortune héritée dans le patrimoine total représente 60%, contre 35% au début des années 70 »).
  • Dans tous les cas, il est difficile de comparer la situation des jeunes aujourd’hui à celle des « boomers », puisque ceux-ci ont intégré le marché du travail au cours des trente glorieuses, c’est-à-dire pendant une période de plein-emploi, qui est révolue aujourd’hui. Les jeunes veulent travailler, mais on leur propose surtout des emplois précaires (intérim, CDD, temps partiels…) puisqu’ils manquent d’expérience pour accéder aux postes en CDI, plus confortables. N’est-ce pas avoir une vision partielle de la situation que de les pousser à prendre des emplois mal rémunérés alors que leur diplôme leur permettrait d’accéder à plus de facilités ?
  • De même, Salomé Saqué démonte le fantasme selon lequel les jeunes rêvent tous d’être influenceurs et de faire fortune grâce aux réseaux sociaux. La question du patrimoine entre encore en jeu : « Quand vous êtes livreur quinze heures par jour, produire suffisamment de contenu sur YouTube pour être un jour reconnu est pratiquement impossible. ‘Suivre ses rêves’ semble encore une fois nécessiter un certain capital de départ ».
  • A travers ses entretiens, Salomé Saqué souligne que les jeunes lisent et s’intéressent aux actualités. L’actualité est seulement souvent trop anxiogène pour eux. Et surtout, ils sont sensibles aux questions d’environnement qui leur insuffle une éco-anxiété difficilement surpassable.
  • Enfin, l’affaiblissement du syndicalisme, que l’autrice explique être « le lien entre la réalité du peuple et la sphère politique », implique que des incompréhensions apparaissent entre les classes populaire et dirigeante. « Cela participe à la naissance d’une jeunesse qui, en plus de ne pas se retrouver dans le vote, ne se retrouve pas dans les mouvements sociaux ».

Conclusion

Je pense que ce livre est à lire pour tout un tas de raisons. D’abord, si vous êtes du côté des « vieux », ils vous aidera à mieux comprendre les jeunes que vous trouvez au travail, dans votre entourage proche, votre famille, vos enfants, vos amis. Si vous êtes du côté des « jeunes », vous soufflerez un bon coup comme je l’ai fait, en vous disant « ah, je ne suis pas seul », et vous comprendrez les reproches que l’on fait à votre catégorie d’âge, en ayant des éléments d’explication et de réponse. Salomé Saqué s’appuie sur des faits scientifiques et les croise avec une centaine d’entretiens, ce qui fait de cet essai une mine d’or de témoignages. A lire !

Emily Henry : Book lovers

Nora Stephens’ life is books – she’s read them all – and she is not that type of heroine. Not the plucky one, not the laidback dream girl, and especially not the sweetheart. In fact, the only people Nora is a heroine for are her clients, for whom she lands enormous deals as a cutthroat literary agent, and her beloved little sister Libby.

Which is why she agrees to go to Sunshine Falls, North Carolina for the month of August when Libby begs her for a sisters’ trip away – with visions of a small-town transformation for Nora, who she’s convinced needs to become the heroine in her own story. But instead of picnics in meadows, or run-ins with a handsome country doctor or bulging-forearmed bartender, Nora keeps bumping into Charlie Lastra, a bookish brooding editor from back in the city. It would be a meet-cute if not for the fact that they’ve met many times and it’s never been cute.

Romance d’Emily Henry aux éditions Penguin. 373 pages. 2022. Pas d’édition française pour le moment

Maybe love shouldn’t be built on a foundation of compromises, but maybe it can’t exist without them either.

Je dois avouer que j’ai entamé ce livre un peu par hasard. Il faisait beau dans Bologne, un des premiers vrais jours de printemps, et je fourrageais dans la section livre en anglais de la librairie de la ville à la recherche de quelque chose. Il y a des jours où je serais prête à acheter tout ce qui me passe sous la main, mais parfois, je repose tout ce que j’attrape. Rien ne m’intéresse. J’estime donc avoir eu énormément de chance en tombant sur ce livre, car je pense avoir trouvé en lui une nouvelle autrice favorite. Tout m’a plus, voire même enchantée, dans ma lecture ; je ne regrette pas un instant !

Book readers est une romance autour de deux personnages : Nora, une agente littéraire très professionnelle, prête à tout et qui ne jure que par ses talons hauts, et Charlie, un éditeur un peu plus tranquille et discret. Ils pourraient travailler ensemble mais l’occasion ne s’est jamais présentée. Et comme par hasard, ils se retrouvent à passer le mois d’août dans la même petite ville, Sunshine Falls. Evidemment, le livre est étiqueté en « romance », je ne divulgâche donc rien en vous révélant qu’ils vont tomber amoureux. Autour de cette trame principale s’entremêlent des histoires de famille, des histoires d’argent et des histoires de boulot.

Avant toute chose, je dois avouer que j’ai absolument adoré ce roman. Même si je ne suis pas une fan absolue de rom-com, j’ai plongé la tête la première dedans, sûrement aidée par le retour des beaux jours et par l’enchaînement de lectures difficiles et sérieuses au cours du mois de mai. Je suis donc persuadée que le moment de ma vie auquel j’ai lu ce livre m’a aidée à l’aimer à ce point. Tout m’a plu : l’entremêlement des intrigues qui se succèdent et se résolvent, les personnages qui sont on ne peut plus attachants, l’écriture et l’humour de l’autrice, et surtout, cette histoire d’amour, mais quelle histoire d’amour !

There’s no less room in my heart for her than the day she first came screaming into the world.

But there is less time. Less space in our daily lives. Other people. Other priorities. We’re a Venn diagram now, instead of a circle. I might’ve made all my decisions for her, but now that I’m here, I love my life.

La raison principale pour laquelle je n’aime pas les romances est que l’on comprend très vite qui va tomber amoureux de qui, mais que cela prend un temps absolument fou à se concrétiser, à tel point que ça en est frustrant. Ici, l’histoire est relativement rapide à se mettre en place, pour laisser la place de développer et faire fleurir la relation sur les 300 pages restantes. J’ai trouvé ça très beau. J’ai été touchée par la dévotion que les deux protagonistes ont l’un pour l’autre sans se l’avouer, et par le fait que le moteur principal de leur relation reste les livres. Les livres comme objet commercial certes, et pas romantisés comme de belles histoires comme on a l’habitude de l’imaginer, mais les livres quand même. Le lieu central du roman ? La librairie. L’élément déclencheur ? Une autrice. Non, franchement, de l’amour et des livres en moins de 400 pages, que demande le peuple ?

Les deux personnages principaux, Charlie et Nora, sont assez simplistes. J’entends par là que chacun est décrit par un unique trait de caractère et une unique « ligne éditoriale ». Cela implique qu’ils manquent peut-être un peu de profondeur. Ce n’est pas gênant car c’est l’entremêlement de ces personnalités opposées qui est beau à lire, au final. Je pense que la simplicité que l’on a à les comprendre, à s’identifier à eux, à voir au travers des clichés, qui fait qu’on s’y attache énormément. Et ce n’est pas tout ! Les personnages secondaires, construits sur le même mode, ne tombent pas à l’eau. La lumière est sur eux au moment opportun. J’avais presque l’impression de les connaître… En particulier, j’ai beaucoup apprécié le développement de la relation entre Nora et sa soeur. Plus que l’amour amoureux, Emily Henry dépeint merveilleusement l’amour fraternel, celui qui est intemporel et inconditionnel.

Grâce à tout cela, je dois avouer qu’Emily Henry est devenue l’une de mes autrices favorites. Comme ça, en un claquement de doigt. Elle a tout fait infuser dans son livre : une histoire d’amour adorable et des personnages ô combien attachants, le tout saupoudré de sa belle écriture, très agréable à lire, et d’un humour à toute épreuve. J’ai véritablement éclaté de rire à certains points durant ma lecture, ce qui n’est pas vraiment courant chez moi. J’ai aussi eu les larmes aux yeux sur la fin du livre. J’ai eu du mal à le finir car je ne voulais pas quitter la couette chaude et agréable que Book lovers représentait.

Book Lovers est un bonbon que l’on suçote en faisant quelque chose que l’on aime. En cette période où l’air se réchauffe et où les grandes vacances s’approchent pas à pas, il est la lecture parfaite. De l’amour à faire exploser le coeur, de l’humour pour rire sous le parasol, et une pointe d’émotions qui vous ravira. Je vous le conseille si :

  • Vous avez envie de vacances ; ce livre repose l’âme.
  • Vous êtes fleur bleue et qu’une histoire d’amour est tout ce qu’il vous faut.
  • Vous cherchez un livre pour faire passer le temps.

Emily Henry est une autrice américaine. Ses romans, tournant tous autour de l’été et des vacances, ont été plébiscités par le New York Times.

Arnaud Cathrine : J’entends des regards que vous croyez muets

« Je passe mon temps à voler des gens. Dans le métro, dans la rue, au café, sur la plage. Ce peut être une femme, un homme, un adolescent, une enfant, un couple… J’ai toujours un carnet et un stylo sur moi. Je tente de les deviner, aucun ne doit me rester étranger, je veux les garder, je finis par les inventer, ce que je nomme voler. »

Avec ces soixante-quinze récits brefs, Arnaud Cathrine capte les vies potentielles de celles et ceux qu’il croise, tout en renvoyant aux fantasmes de celui qui les regarde. J’entends des regards que vous croyez muets propose donc un jeu de miroir entre ces inconnus propices à la fiction et l’autoportrait de l’auteur devenu à son tour un personnage à part entière.

Livre contemporain d’Arnaud Cathrine. Publié par Gallimard en 2019. 178 pages.


Ce fut épuisant et long de devenir nous-mêmes, mais nous pouvons être fiers d’y avoir consenti.

J’avoue que ce roman fait partie de ceux qu’on choisit pour son titre. Le résumé, bien qu’aguicheur, paraît un peu vu et revu, la couverture ne tape pas dans l’œil, il y a beaucoup de blocs blancs quand on tourne les pages, et l’auteur est inconnu au bataillon. Mais tout de même, debout dans le rayon de la librairie, on s’interroge : comment entend-t-on les regards ? Comment peuvent-ils être muets ? Et on accepte alors d’accepter d’écouter l’auteur et ce qu’il a à dire, ou, plus précisément, son regard. Ce livre de 178 pages se lit à la vitesse de l’éclair le temps d’une correspondance de train ou de la salle d’attente du médecin. Il en retourne qu’on n’en retient pas grand chose et qu’il s’efface assez vite de l’esprit.

Le concept, comme je vous le disais, n’est donc pas neuf. Inventer la vie des gens qu’on croise n’est pas forcément disruptif, on le fait toustes à un moment ou à un autre (« je parie qu’il rentre de soirée », « tiens c’est un premier date », etc, etc.). Arnaud Cathrine se propose d’en faire un livre. Et ma foi, je dois avouer que c’est plutôt réussi. J’entends des regards que vous croyez muets enchaîne des chapitres d’une dizaine de lignes avec d’autres d’une dizaine de pages, et ne laisse donc pas le temps au lecteur de s’ennuyer.

Pourtant, je n’ai pas saisi l’intérêt profond du livre. Quel est le message ? Y a-t-il au moins un autre objectif que la « simple » juxtaposition de portraits, réels ou imaginés ? Je n’ai peut-être pas assez pris mon temps pour lire et je n’ai donc pas réussi à déceler le fond. J’ai lu ce roman exactement comme une suite de nouvelles, avec pas ou peu de lien si ce n’est les yeux du narrateur. Je ne pense donc pas en garder une empreinte véritable dans ma mémoire.

Je me dis, incrédule : un homme est venu mourir devant chez moi, j’ai vu un homme mourir. Je me dis des choses comme ça dont il n’y a rien à penser : ce sont des phrases toutes faites qui se portent à mon secours et entendent faire barrage à l’effroi. (…) Je contemple l’homme mort . Qui est-il ? Je comprends qu’aucune fiction n’est possible en l’occurrence.

Malgré cela, il faut bien avouer que l’écriture de l’auteur et sa manière assez simple et sans détours de décrire certains passages fugaces de son existence sont touchantes. Qui ne se reconnaîtrait pas dans l’image qu’il peint d’une passante, d’une caissière, d’un couple ? Et qui, même, ne se reconnaîtrait pas dans la démarche même de l’auteur, cette languide rêverie au détour d’une rue, d’un couloir de métro, d’une plage ? Arnaud Cathrine décrit bel et bien le réel. Rien (ou presque) d’alambiqué, rien qui ne fasse s’échapper du quotidien. N’est-ce pas toute la douceur de ce livre ? De sourire en coin à la remarque acerbe d’un auteur-narrateur qui paraît soudainement avoir percé tous nos secrets ?

Je pense que J’entends des regards que vous croyez muets est bien trop court pour pouvoir approfondir plus que cela. Il faut céder à la simplicité, celle qu’a voulu véhiculer l’auteur. Son style d’écriture fluide et poétique me donne envie de découvrir un autre de ses romans et me détacher de la forme pour pouvoir mieux m’attacher au fond. D’autant plus que l’auteur a des choses intéressantes à dire, entre les relations amoureuses, un entretien avec Marguerite Duras (si cela vous fait ouvrir la bouche d’étonnement, sachez que ce fut mon cas aussi), ou des réflexions sur le soi et sur les autres. Trop court, trop rapide, trop épisodique : cela n’a pas fonctionné entièrement sur moi, hélas !

Je vous le conseille si vous avez besoin d’un livre pour vous remettre à lire après une longue pause voire une panne de lecture, si vous voulez un livre à lire dans le métro qui demande peu de concentration et que l’on peut mettre sur pause à n’importe quel moment, ou si vous aimez vous imaginer la vie des gens que vous croisez. Vous risquez d’être surpris.e.s !

Quelques mots sur l’auteur

Arnaud Cathrine est un écrivain français, auteur d’une multitude de romans dont une grande partie sont destinés à la jeunesse. Il est aussi scénariste et réalisateur à ses heures perdues.

Albert Cohen : Le livre de ma mère

Ce livre d’un fils est aussi le livre de tous les fils. Chacun de nous y reconnaîtra sa propre mère, sainte sentinelle, courage et bonté, chaleur et regard d’amour. Et tout fils pleurant sa mère disparue y retrouvera les reproches qu’il s’adresse à lui-même lorsqu’il pense à telle circonstance où il s’est montré ingrat, indifférent ou incompréhensif. Regrets ou remords toujours tardifs. « Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils se fâchent et s’impatientent contre leurs mères, les fous si tôt punis. »

Autobiographie d’Albert Cohen, publié chez Gallimard en 1954. 175 pages.


Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles.

Je connais Albert Cohen grâce à Belle du seigneur, gros pavé de 1200 pages lu au printemps il y a deux ans. J’avais été marquée par le style d’écriture simple, presque enfantin, très authentique, qui laissait retranscrire de véritables sentiments et émotions. Quand j’ai ouvert Le livre de ma mère, qui est presque dix fois plus court que Belle du seigneur, j’avais de grandes attentes. Le sujet est très intime alors croisé avec les prouesses d’écriture de l’auteur, je m’attendais à quelque chose de grand… Je dois avouer pour commencer que le feu d’artifice n’a pas eu lieu. Je pense que la longueur de ce livre et l’aspect « exposé » m’ont un peu fait passer à côté.

Le livre de ma mère porte admirablement bien son nom. Albert Cohen emporte le lecteur avec lui dans ses souvenirs avec sa mère, teintés de deuil et de regrets puisque celle-ci vient de décéder. Il a honte du mauvais fils qu’il a été parfois, de s’être moqué d’elle et de l’avoir parfois méprisée. Des épisodes du passé s’alternent comme par magie avec des réflexions présentes et des retours sur ces événements. Le tout est très fluide et se laisse lire presque d’une traite.

Il y a deux choses (qui sont liées) que j’ai découvertes dans Belle du seigneur que j’ai vraiment apprécié retrouver dans cet ouvrage-là. La première est le registre d’écriture assez unique de l’auteur. Il détonne énormément de ce qu’on a l’habitude de lire, en ce qu’il est familier, voire même enfantin. Ce style presque oral donne l’impression que l’on n’est pas en train de lire mais bel et bien d’écouter Albert Cohen dans son monologue. La structure en courts chapitres renforce cet aspect, comme s’il reprenait son souffle entre deux phrases. La seconde est le style, extrêmement authentique et terre-à-terre. Je ne sais pas comment expliquer ce que je ressens en lisant – comme si les émotions étaient pures, mises à nu, décortiquées presque. Comme si l’écrivain était doté d’une clairvoyance extrême qui lui permettait de voir au sein même de l’espèce humaine. La longueur totale du livre ne permet certes pas aussi bien d’en saisir la force que dans Belle du seigneur, mais l’effet est toujours là.

Toute seule là-dessous, la pauvre inutile dont on s’est débarrassé dans de la terre, toute seule, et on a eu la gentille pensée de lui mettre dessus une lourde dalle de marbre, un presse-mort, pour être bien sûr qu’elle ne s’en ira pas.

En revanche, comme je vous expliquais au tout début, même si j’ai retrouvé en partie ce que j’espérais dans ce roman, il n’y a pas eu l’effervescence que j’espérais en entamant ma lecture. Je pense notamment que le fait que le livre soit très court m’a empêchée de vraiment m’imprégner du style et qu’au final les phrases ont glissé sur moi de manière plus ou moins indifférenciée. Même si j’ai évidemment été émue par certains passages, je n’ai pas réussi à être imprégnée du texte comme je l’aurais été s’il avait été plus long. Peut-être que je n’ai pas réussi à prendre suffisamment mon temps dans ma lecture et qu’au final je l’ai bâclée. Peut-être que je n’étais pas dans le bon état d’esprit au moment de ma lecture. Une multitude de facteur me font penser que j’aurais pu l’apprécier bien plus et qu’il aurait pu allumer en moi une étincelle. Cela n’a pas été le cas.

Malgré cela, je pense que Le livre de ma mère est d’une importance capitale. On ressent énormément de pitié pour la mère d’Albert Cohen, qui au fil des pages apparaît si fragile et si naïve. On ressent de la colère contre son fils qui lui préfère les filles. Je pense que ce sont les deux objectifs de l’auteur qui a écrit cette œuvre comme pénitence de ne pas avoir dignement aimé sa mère. Il fixe ainsi dans l’histoire de la littérature ce journal de remords écrit au lendemain de son décès – ce côté impudique, j’ai presque envie de dire exhibitionniste est très caractéristique du Livre de ma mère. Ce sont les plus basses, les plus viles de ses erreurs qu’il expose au lecteur. Cela apporte une doublure intéressante au récit.

Pour conclure, ce livre m’a satisfaite même s’il n’a fait que glisser sur moi, ce que je regrette un peu. Je pense qu’il peut plaire, d’autant plus qu’il est court et facile à lire grâce au style minimaliste de l’auteur. Je vous le conseille :

  • Si vous voulez découvrir Albert Cohen mais n’avez pas le courage d’entamer Belle du seigneur (qui pour moi reste une référence, un chef d’oeuvre)
  • Si vous voulez vous plonger dans un roman beau et court sur l’amour d’un fils pour sa mère
  • Si vous appréciez les romans courts et faciles à lire (pour vous sortir d’une panne de lecture, peut-être ? C’est ironique parce qu’après Belle du seigneur je n’avais plus pu lire pendant quelques mois ^^)

Albert Cohen (1895 – 1981) est un auteur d’origine romande dont l’oeuvre est très influencée par ses racines juives.