Arnaud Cathrine : J’entends des regards que vous croyez muets

« Je passe mon temps à voler des gens. Dans le métro, dans la rue, au café, sur la plage. Ce peut être une femme, un homme, un adolescent, une enfant, un couple… J’ai toujours un carnet et un stylo sur moi. Je tente de les deviner, aucun ne doit me rester étranger, je veux les garder, je finis par les inventer, ce que je nomme voler. »

Avec ces soixante-quinze récits brefs, Arnaud Cathrine capte les vies potentielles de celles et ceux qu’il croise, tout en renvoyant aux fantasmes de celui qui les regarde. J’entends des regards que vous croyez muets propose donc un jeu de miroir entre ces inconnus propices à la fiction et l’autoportrait de l’auteur devenu à son tour un personnage à part entière.

Livre contemporain d’Arnaud Cathrine. Publié par Gallimard en 2019. 178 pages.


Ce fut épuisant et long de devenir nous-mêmes, mais nous pouvons être fiers d’y avoir consenti.

J’avoue que ce roman fait partie de ceux qu’on choisit pour son titre. Le résumé, bien qu’aguicheur, paraît un peu vu et revu, la couverture ne tape pas dans l’œil, il y a beaucoup de blocs blancs quand on tourne les pages, et l’auteur est inconnu au bataillon. Mais tout de même, debout dans le rayon de la librairie, on s’interroge : comment entend-t-on les regards ? Comment peuvent-ils être muets ? Et on accepte alors d’accepter d’écouter l’auteur et ce qu’il a à dire, ou, plus précisément, son regard. Ce livre de 178 pages se lit à la vitesse de l’éclair le temps d’une correspondance de train ou de la salle d’attente du médecin. Il en retourne qu’on n’en retient pas grand chose et qu’il s’efface assez vite de l’esprit.

Le concept, comme je vous le disais, n’est donc pas neuf. Inventer la vie des gens qu’on croise n’est pas forcément disruptif, on le fait toustes à un moment ou à un autre (« je parie qu’il rentre de soirée », « tiens c’est un premier date », etc, etc.). Arnaud Cathrine se propose d’en faire un livre. Et ma foi, je dois avouer que c’est plutôt réussi. J’entends des regards que vous croyez muets enchaîne des chapitres d’une dizaine de lignes avec d’autres d’une dizaine de pages, et ne laisse donc pas le temps au lecteur de s’ennuyer.

Pourtant, je n’ai pas saisi l’intérêt profond du livre. Quel est le message ? Y a-t-il au moins un autre objectif que la « simple » juxtaposition de portraits, réels ou imaginés ? Je n’ai peut-être pas assez pris mon temps pour lire et je n’ai donc pas réussi à déceler le fond. J’ai lu ce roman exactement comme une suite de nouvelles, avec pas ou peu de lien si ce n’est les yeux du narrateur. Je ne pense donc pas en garder une empreinte véritable dans ma mémoire.

Je me dis, incrédule : un homme est venu mourir devant chez moi, j’ai vu un homme mourir. Je me dis des choses comme ça dont il n’y a rien à penser : ce sont des phrases toutes faites qui se portent à mon secours et entendent faire barrage à l’effroi. (…) Je contemple l’homme mort . Qui est-il ? Je comprends qu’aucune fiction n’est possible en l’occurrence.

Malgré cela, il faut bien avouer que l’écriture de l’auteur et sa manière assez simple et sans détours de décrire certains passages fugaces de son existence sont touchantes. Qui ne se reconnaîtrait pas dans l’image qu’il peint d’une passante, d’une caissière, d’un couple ? Et qui, même, ne se reconnaîtrait pas dans la démarche même de l’auteur, cette languide rêverie au détour d’une rue, d’un couloir de métro, d’une plage ? Arnaud Cathrine décrit bel et bien le réel. Rien (ou presque) d’alambiqué, rien qui ne fasse s’échapper du quotidien. N’est-ce pas toute la douceur de ce livre ? De sourire en coin à la remarque acerbe d’un auteur-narrateur qui paraît soudainement avoir percé tous nos secrets ?

Je pense que J’entends des regards que vous croyez muets est bien trop court pour pouvoir approfondir plus que cela. Il faut céder à la simplicité, celle qu’a voulu véhiculer l’auteur. Son style d’écriture fluide et poétique me donne envie de découvrir un autre de ses romans et me détacher de la forme pour pouvoir mieux m’attacher au fond. D’autant plus que l’auteur a des choses intéressantes à dire, entre les relations amoureuses, un entretien avec Marguerite Duras (si cela vous fait ouvrir la bouche d’étonnement, sachez que ce fut mon cas aussi), ou des réflexions sur le soi et sur les autres. Trop court, trop rapide, trop épisodique : cela n’a pas fonctionné entièrement sur moi, hélas !

Je vous le conseille si vous avez besoin d’un livre pour vous remettre à lire après une longue pause voire une panne de lecture, si vous voulez un livre à lire dans le métro qui demande peu de concentration et que l’on peut mettre sur pause à n’importe quel moment, ou si vous aimez vous imaginer la vie des gens que vous croisez. Vous risquez d’être surpris.e.s !

Quelques mots sur l’auteur

Arnaud Cathrine est un écrivain français, auteur d’une multitude de romans dont une grande partie sont destinés à la jeunesse. Il est aussi scénariste et réalisateur à ses heures perdues.