Ce livre d’un fils est aussi le livre de tous les fils. Chacun de nous y reconnaîtra sa propre mère, sainte sentinelle, courage et bonté, chaleur et regard d’amour. Et tout fils pleurant sa mère disparue y retrouvera les reproches qu’il s’adresse à lui-même lorsqu’il pense à telle circonstance où il s’est montré ingrat, indifférent ou incompréhensif. Regrets ou remords toujours tardifs. « Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils se fâchent et s’impatientent contre leurs mères, les fous si tôt punis. »
Autobiographie d’Albert Cohen, publié chez Gallimard en 1954. 175 pages.
Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles.
Je connais Albert Cohen grâce à Belle du seigneur, gros pavé de 1200 pages lu au printemps il y a deux ans. J’avais été marquée par le style d’écriture simple, presque enfantin, très authentique, qui laissait retranscrire de véritables sentiments et émotions. Quand j’ai ouvert Le livre de ma mère, qui est presque dix fois plus court que Belle du seigneur, j’avais de grandes attentes. Le sujet est très intime alors croisé avec les prouesses d’écriture de l’auteur, je m’attendais à quelque chose de grand… Je dois avouer pour commencer que le feu d’artifice n’a pas eu lieu. Je pense que la longueur de ce livre et l’aspect « exposé » m’ont un peu fait passer à côté.
Le livre de ma mère porte admirablement bien son nom. Albert Cohen emporte le lecteur avec lui dans ses souvenirs avec sa mère, teintés de deuil et de regrets puisque celle-ci vient de décéder. Il a honte du mauvais fils qu’il a été parfois, de s’être moqué d’elle et de l’avoir parfois méprisée. Des épisodes du passé s’alternent comme par magie avec des réflexions présentes et des retours sur ces événements. Le tout est très fluide et se laisse lire presque d’une traite.
Il y a deux choses (qui sont liées) que j’ai découvertes dans Belle du seigneur que j’ai vraiment apprécié retrouver dans cet ouvrage-là. La première est le registre d’écriture assez unique de l’auteur. Il détonne énormément de ce qu’on a l’habitude de lire, en ce qu’il est familier, voire même enfantin. Ce style presque oral donne l’impression que l’on n’est pas en train de lire mais bel et bien d’écouter Albert Cohen dans son monologue. La structure en courts chapitres renforce cet aspect, comme s’il reprenait son souffle entre deux phrases. La seconde est le style, extrêmement authentique et terre-à-terre. Je ne sais pas comment expliquer ce que je ressens en lisant – comme si les émotions étaient pures, mises à nu, décortiquées presque. Comme si l’écrivain était doté d’une clairvoyance extrême qui lui permettait de voir au sein même de l’espèce humaine. La longueur totale du livre ne permet certes pas aussi bien d’en saisir la force que dans Belle du seigneur, mais l’effet est toujours là.
Toute seule là-dessous, la pauvre inutile dont on s’est débarrassé dans de la terre, toute seule, et on a eu la gentille pensée de lui mettre dessus une lourde dalle de marbre, un presse-mort, pour être bien sûr qu’elle ne s’en ira pas.
En revanche, comme je vous expliquais au tout début, même si j’ai retrouvé en partie ce que j’espérais dans ce roman, il n’y a pas eu l’effervescence que j’espérais en entamant ma lecture. Je pense notamment que le fait que le livre soit très court m’a empêchée de vraiment m’imprégner du style et qu’au final les phrases ont glissé sur moi de manière plus ou moins indifférenciée. Même si j’ai évidemment été émue par certains passages, je n’ai pas réussi à être imprégnée du texte comme je l’aurais été s’il avait été plus long. Peut-être que je n’ai pas réussi à prendre suffisamment mon temps dans ma lecture et qu’au final je l’ai bâclée. Peut-être que je n’étais pas dans le bon état d’esprit au moment de ma lecture. Une multitude de facteur me font penser que j’aurais pu l’apprécier bien plus et qu’il aurait pu allumer en moi une étincelle. Cela n’a pas été le cas.
Malgré cela, je pense que Le livre de ma mère est d’une importance capitale. On ressent énormément de pitié pour la mère d’Albert Cohen, qui au fil des pages apparaît si fragile et si naïve. On ressent de la colère contre son fils qui lui préfère les filles. Je pense que ce sont les deux objectifs de l’auteur qui a écrit cette œuvre comme pénitence de ne pas avoir dignement aimé sa mère. Il fixe ainsi dans l’histoire de la littérature ce journal de remords écrit au lendemain de son décès – ce côté impudique, j’ai presque envie de dire exhibitionniste est très caractéristique du Livre de ma mère. Ce sont les plus basses, les plus viles de ses erreurs qu’il expose au lecteur. Cela apporte une doublure intéressante au récit.
Pour conclure, ce livre m’a satisfaite même s’il n’a fait que glisser sur moi, ce que je regrette un peu. Je pense qu’il peut plaire, d’autant plus qu’il est court et facile à lire grâce au style minimaliste de l’auteur. Je vous le conseille :
- Si vous voulez découvrir Albert Cohen mais n’avez pas le courage d’entamer Belle du seigneur (qui pour moi reste une référence, un chef d’oeuvre)
- Si vous voulez vous plonger dans un roman beau et court sur l’amour d’un fils pour sa mère
- Si vous appréciez les romans courts et faciles à lire (pour vous sortir d’une panne de lecture, peut-être ? C’est ironique parce qu’après Belle du seigneur je n’avais plus pu lire pendant quelques mois ^^)
Albert Cohen (1895 – 1981) est un auteur d’origine romande dont l’oeuvre est très influencée par ses racines juives.