Salomé Saqué : Sois jeune et tais-toi

Les jeunes seraient « paresseux », « incultes », voire « égoïstes et individualistes ». J’ai entendu mille fois ces accusations à l’égard de la jeunesse : dans des dîners de famille, à la volée chez un commerçant ou portées par des éditorialistes remontés à la télévision. Ces jugements négatifs sont non seulement infondés, mais aussi délétères pour toute la société. Entre le chômage, la dégradation de la situation économique, la pandémie et l’urgence écologique, les jeunes doivent composer avec des paramètres inédits. De plus, les défauts qu’on leur prête sont souvent le symptôme d’une profonde incompréhension – d’un désintérêt ? – pour leurs préoccupations et leurs pratiques. De fait, que ce soit en entreprise, en politique ou dans les médias, les jeunes ont rarement voix au chapitre. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu leur donner la parole dans cette enquête afin de raconter les difficultés auxquelles ils font face et de montrer les solutions qu’ils proposent pour garder espoir en l’avenir. Car une chose est certaine : les jeunes ne correspondent pas aux clichés qui leur collent à la peau. Il est plus qu’urgent de changer de regard sur la jeunesse : la solidarité intergénérationnelle est indispensable pour faire face aux bouleversements qui nous menacent tous.

Tenter d’acquérir un bien immobilier sans apport est aujourd’hui aussi difficile que d’arriver dans une partie de Monopoly au dixième tour.

Sois jeune et tais-toi est un essai de la journaliste Salomé Saqué. Âgée de 28 ans, elle se penche sur la question de la jeune génération et des nombreux clichés qui sont entretenus à son sujet. A partir d’une centaine d’entretiens et de papiers de recherche, elle s’efforce de les démonter un par un et de tempérer la situation des jeunes aujourd’hui dans le contexte socio-écono-environnemental dans lequel nous nous situons.

Ce que j’ai pensé de cet essai

Je pense que ce livre m’a fait du bien, vraiment. J’ai 21 ans, et une sensation persistante que la jeunesse telle que je la vois, telle qu’elle m’entoure, est incomprise. A mes yeux, Salomé Saqué, en étayant ses propos – même si elle a tendance à ne pas rentrer dans les détails – donne l’essentiel des clés pour enfin essayer de voir la vie dans les yeux de celleux qui ont entre 18 et 30 ans (tel que l’autrice définit les « jeunes ») et enfin comprendre leur situation. Elle traite de beaucoup de sujets. Non, les jeunes ne sont pas fainéants. Non, les jeunes ne passent pas leur temps à jouer aux jeux vidéos. Oui, les jeunes s’intéressent à l’actualité. Mais pas dans la même manière que leurs parents ou que les baby-boomers qui occupent actuellement l’essentiel des postes à pouvoir. Oui, l’essai est parfois un peu décousu de par ses chapitres multiples qui peuvent passer du coq à l’âne. Oui, on manque (un peu) de profondeur dans certains cas. Mais il est direct, plein d’honnêteté, et va droit au but. Impossible de refermer ce livre sans être convaincus des propos de S. Saqué, pour peu qu’on se donne la peine de donner du crédit à la parole de ces jeunes, parfois en galère, parfois ayant du succès.

Alors oui, ce livre m’a fait du bien, parce que je me suis reconnue – ou j’ai au moins reconnu certain.es de mes ami.es, et, par ce biais, j’ai senti que la jeunesse avait été comprise. Bien que subissant probablement un biais de confirmation (les gens qui lisent le livre sont en principe déjà sensibles au sujet pour s’y intéresser), je pense quil permet d’ouvrir la parole autour d’une partie de la population, parfois encore étudiante, parfois déjà dans la vie active, qui reste invisible dans les journaux ou sur les plateaux télé.

Quelque idées évoquées dans le bouquin

  • Salomé Saqué rappelle dans l’introduction que : « la jeunesse ‘n’est qu’un mot’ et l’âge ‘une donnée biologique socialement manipulable et manipulée' ». Citant là des propos de Pierre Bourdieu, elle attire notre attention sur le fait qu’être jeune n’est pas le simple fait s’appartenir à une catégorie d’âge fixée, mais c’est en fait une construction sociale. Définir la jeunesse n’est donc pas une tâche des plus simples, et l’autrice s’appuie donc sur la définition de l’Insee : les jeunes seraient les personnes âgées de 18 à 29 ans. Mais séparer les « jeunes » et les « vieux » par une simple barrière d’âge n’est pas l’objectif du livre et serait même contre-productif. L’objet est de parler d’une classe qui subit un certain traitement médiatique et est rassemblée sous une certaine quantité de clichés.
  • Le « c’était mieux avant » est un refrain mille fois entendu, prononcé par toutes les générations à un moment donné. Tout simplement parce que les temps changent et évolue, et que lorsqu’on n’est plus jeune, on ne se reconnaît plus dans les nouvelles moeurs. Ainsi, d’après l’autrice, « taper sur les jeunes à tout bout de champ est un sport national dans bon nombre de médias, ce qui entretient une petite musique peu sympathique à l’endroit de la jeunesse ». Bref, on condamne les comportements des jeunes (quels qu’ils soient !), ce qui nous met sur une pente nous incitant à condamner encore plus le comportement des jeunes (vous voyez ce que je veux dire ?).
  • La « méritocratie » n’existe pas. L’autrice parle d' »éducation à deux vitesses […] : avec des moyens pour ceux qui en ont, sans moyens pour ceux qui n’en ont pas ». Elle dénonce ainsi la mainmise des écoles privées sur l’éducation et surtout la rengaine « si tu travailles, tu y arriveras » qui est en fait fausse : hériter marche mieux que mériter. L’accès aux grandes écoles paraît souvent réservée à une caste de privilégiés, et, si les jeunes n’y accèdent pas, ce n’est pas systématiquement de leur propre fait (un manque de travail ? une fainéantise ?) mais aussi du contexte dans lequel ils évoluent et dans lequel ils ont grandi. Ce système éducatif « à deux vitesses » creuse les inégalités entre jeunes privilégiés et issus de classes plus populaires, s’ajoutant à celle impliquée directement par leur différence de patrimoine (pour le Conseil d’analyse économique, « La part de la fortune héritée dans le patrimoine total représente 60%, contre 35% au début des années 70 »).
  • Dans tous les cas, il est difficile de comparer la situation des jeunes aujourd’hui à celle des « boomers », puisque ceux-ci ont intégré le marché du travail au cours des trente glorieuses, c’est-à-dire pendant une période de plein-emploi, qui est révolue aujourd’hui. Les jeunes veulent travailler, mais on leur propose surtout des emplois précaires (intérim, CDD, temps partiels…) puisqu’ils manquent d’expérience pour accéder aux postes en CDI, plus confortables. N’est-ce pas avoir une vision partielle de la situation que de les pousser à prendre des emplois mal rémunérés alors que leur diplôme leur permettrait d’accéder à plus de facilités ?
  • De même, Salomé Saqué démonte le fantasme selon lequel les jeunes rêvent tous d’être influenceurs et de faire fortune grâce aux réseaux sociaux. La question du patrimoine entre encore en jeu : « Quand vous êtes livreur quinze heures par jour, produire suffisamment de contenu sur YouTube pour être un jour reconnu est pratiquement impossible. ‘Suivre ses rêves’ semble encore une fois nécessiter un certain capital de départ ».
  • A travers ses entretiens, Salomé Saqué souligne que les jeunes lisent et s’intéressent aux actualités. L’actualité est seulement souvent trop anxiogène pour eux. Et surtout, ils sont sensibles aux questions d’environnement qui leur insuffle une éco-anxiété difficilement surpassable.
  • Enfin, l’affaiblissement du syndicalisme, que l’autrice explique être « le lien entre la réalité du peuple et la sphère politique », implique que des incompréhensions apparaissent entre les classes populaire et dirigeante. « Cela participe à la naissance d’une jeunesse qui, en plus de ne pas se retrouver dans le vote, ne se retrouve pas dans les mouvements sociaux ».

Conclusion

Je pense que ce livre est à lire pour tout un tas de raisons. D’abord, si vous êtes du côté des « vieux », ils vous aidera à mieux comprendre les jeunes que vous trouvez au travail, dans votre entourage proche, votre famille, vos enfants, vos amis. Si vous êtes du côté des « jeunes », vous soufflerez un bon coup comme je l’ai fait, en vous disant « ah, je ne suis pas seul », et vous comprendrez les reproches que l’on fait à votre catégorie d’âge, en ayant des éléments d’explication et de réponse. Salomé Saqué s’appuie sur des faits scientifiques et les croise avec une centaine d’entretiens, ce qui fait de cet essai une mine d’or de témoignages. A lire !