Pierre Lemaître : Couleurs de l’incendie

Février 1927. Le Tout-Paris assiste aux obsèques de Marcel Péricourt. Sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l’empire financier dont elle est l’héritière, mais le destin en décide autrement. Son fils, Paul, d’un geste inattendu et tragique, va placer Madeleine sur le chemin de la ruine et du déclassement. Face à l’adversité des hommes, à la cupidité de son époque, à la corruption de son milieu et à l’ambition de son entourage, Madeleine devra déployer des trésors d’intelligence, d’énergie mais aussi de machiavélisme pour survivre et reconstruire sa vie. Tâche d’autant plus difficile dans une France qui observe, impuissante, les premières couleurs de l’incendie qui va ravager l’Europe.

Roman historique écrit par Pierre Lemaître et publié en 2018 par Albin Michel. Tome 2 de la saga Les enfants du désastre. Tome 1 : Au revoir là-haut. Tome 3 : Miroir de nos peines.

La conversation suivait un parcours immuable. La politique d’abord, puis l’économie, l’industrie, on terminait toujours par les femmes. Le facteur commun à tous ces sujets était l’argent. La politique disait s’il serait possible d’en gagner, l’économie, combien on pourrait en gagner, l’industrie, de quelle manière on pourrait le faire, et les femmes, de quelle façon on pourrait le dépenser.

 A première vue, ce livre a une place très compliquée en sa qualité de « suite » d’un livre à succès : Au revoir là-haut, qui a reçu le prix Goncourt et a même été adapté en film. Difficile donc de suivre un si illustre ancien. A propos, j’ai lu ce premier tome il y a quelques années et je me rappelle l’avoir trouvé très long et ne pas avoir réussi à vraiment me plonger dedans. Une suite me paraissait être une drôle d’idée. Mais je ne regrette pas de m’y être essayée puisque très honnêtement, ce livre ne se lit pas comme une suite mais comme un spin-off de Au revoir là-haut, et je pense qu’il en va de même pour l’ultime opus de la trilogie intitulé Miroir de nos peines que j’ai d’ailleurs d’ores et déjà dans ma pile à lire. J’ai adoré Couleurs de l’incendie !

Difficile de vous parler de l’intrigue du livre sans divulgâcher l’expérience incroyable qu’il constitue. Je vais donc me contenter de vous planter un semblant de cadre spatio-temporel : nous voici propulsé.es dans l’entre-deux-guerres. La Grande Guerre est un mauvais souvenir pour la famille Péricourt (la même que l’on suit dans Au revoir là-haut) mais les prémisses du nazisme semblent poindre en Allemagne. On assiste aux obsèques de Marcel Péricourt, le patriarche du premier opus, mais un événement très inattendu va alors perturber le cours de la vie de Madeleine Péricourt, sa fille. Les rocambolesques événements qui vont s’enchaîner par la suite vont la transformer des pieds à la tête.

A toustes celleux que l’aspect « suite » effraie, je vais vous dire la vérité : on peut lire ce roman de manière indépendante (je ne me rappelais absolument pas du premier opus !). Aucun rapport donc si ce n’est les personnages, quelques références mais très légères et espacées. En revanche c’est le même type de roman historique, la même construction dans la tension et le même détricotage progressif qui amène adroitement au dénouement. Le personnage principal est Madeleine Péricourt, très annexe dans Au revoir Là-haut. On se rappelle vaguement d’elle mais on la redécouvre entièrement dans Couleurs de l’incendie.

Ce roman se distingue par deux choses : d’abord, son intrigue. C’est un véritable page turner, on a du suspense, de la trahison, des relations qui se nouent et se dénouent au fil des pages. La montée en tension est très notable : le début plante un décor, qu’on connaît plus ou moins, et les premiers éléments perturbateurs apparaissent, les murs de l’intriguent se montent peu à peu, avant d’être détruits à grands coups de masse dans les 150 dernières pages. Bref, on se régale. Je pense que ce roman est franchement imprévisible ; impossible de savoir comment Madeleine va sauver sa peau. Certaines intrigues secondaires font crisser des dents, certains personnages agacent parfois, mais je pense honnêtement que c’est là tout le génie de l’auteur qui voulait précisément nous voir détester certaines de ses créations. Bref, ce livre vous attrape et vous laisse difficilement repartir.

Le second aspect qui sublime Couleurs de l’incendie est la diversité des sujets abordés. La technocratie qui surgit en plein essor de l’industrie, les femmes dans l’entre-deux-guerres, le handicap, l’opéra. Autant de thèmes que l’on ne voit que très rarement dans la littérature – en tous cas dans celle que j’ai l’habitude de lire. Le plus inédit est l’époque (les années 30). On parle beaucoup des deux guerres mondiales mais rarement de la période entre les deux. J’ai beaucoup aimé cet aspect-là. J’apprécie beaucoup les romans historiques mais celui-ci a particulièrement eu mon coeur, en tous cas davantage que son grand frère qui a pourtant eu le Goncourt. J’ai déjà dans ma PAL le troisième tome de la trilogie intitulé Miroir de nos peines, qui se passe durant la Seconde Guerre mondiale, il me semble. J’ai hâte de le lire.


Pierre Lemaître est un auteur français, lauréat du prix Goncourt en 2013 pour Au revoir là-haut et le César de la meilleure adaptation en 2018 pour le même titre.