Marguerite Duras : L’Amant

L’amant

Marguerite Duras
137 pages
Les éditions de Minuit
1984
Prix Goncourt 1984

« Dans une langue pure comme son sourire de jeune fille, Marguerite Duras confie sa rencontre et sa relation avec un rentier chinois de Saigon. Dans l’Indochine coloniale de l’entre deux-guerres, la relation amoureuse entre cette jeune bachelière et cet homme déjà mûr est sublimée par un environnement extraordinaire. Dès leur rencontre sur le bac qui traverse le Mékong, on ressent l’attirance physique et la relation passionnée qui s’ensuivra, à la fois rapide comme le mouvement permanent propre au sud de l’Asie et lente comme les eaux d’un fleuve de désir. Histoire d’amour aussi improbable que magnifique, L’amant est une peinture des sentiments amoureux, ces pages sont remplies d’un amour pur et entier. »

En trois mots : Indochine, amour, famille

Note : 5 sur 5.

Je cherche souvent mes mots pour parler des livres que je lis. Je souligne leurs points forts, balance par les points faibles, cherche de l’intérêt dans l’écriture, dans l’intrigue, dans les personnages. Je parle des livres qui me font chavirer, ceux qui me déçoivent et ceux qui m’intriguent.

Et puis, il y a les livres qui laissent stupéfaits. Ceux pour lesquels il est difficile de trouver les mots tant l’expérience qu’ils représentent est sans commune mesure. Je ne pense pas pouvoir parfaitement décrire L’amant sans qu’il perde un peu de sa superbe. Mon instant de lecture a été parmi les plus intenses que je n’ai jamais eus. Les mots de Marguerite Duras, parfois si parlants et parfois purement incompréhensibles, glissent sous mes yeux et me laissent dans la tête des images d’une ville sale, noire, bondée et bruyante, et d’un amour pur, déchirant, terrible.

Le son des nuits était celui des chiens de la campagne. Ils hurlaient au mystère. Ils se répondaient de village en village jusqu’à la consommation totale de l’espace et du temps de la nuit.

L’écriture de Marguerite Duras peut troubler, j’en suis consciente. Des phrases courtes et des constructions alambiquées saccadent un rythme déjà haché par les petits paragraphes sans rapport évident les uns avec les autres. Si on s’attache trop au sens, on est vite perdus car l’autrice a tendance à brouiller les pistes en parlant d’elle comme de « la fille », en ne nommant pas ses personnages et en se promenant librement dans le temps sans précisions. Même si j’ai eu un peu de mal à rentrer dans le roman au départ, j’avoue avoir fini par faire abstraction de tout cela pour me plonger dans la beauté des mots, des phrases et des émotions exprimées qui sont d’une pureté à toute épreuve.

Et ce, à commencer par le principal, ce qui donne son titre au roman : l’histoire d’amour entre une jeune fille et un Chinois, empreinte d’abord d’avidité, puisque le jeune homme est riche, puis de racisme ; mais qui finit par devenir pur. Cet amour est d’abord charnel, destructeur, puis paternel. Elle est encore très jeune, sa famille est en lambeaux et il se fait un devoir de s’occuper d’elle. Cependant, même très belle, même relatée par des mots si beaux qu’ils m’ont coupé le souffle, il faut souligner que l’histoire racontée par Marguerite Duras reste très limite – elle a à peine quinze ans et demi au moment des faits. A prendre donc avec des pincettes.

Mais malgré cela, je ne peux pas déshonorer la qualité de cette narration-là. L’autrice prend le parti de rester très éthérée dans ses paroles et de centrer la relation amoureuse autour de la notion de jouissance, puisque dans un premier temps elle s’y réduit. On ne sait rien de l’amant, sinon une vague description physique et son métier, et donc sa condition sociale – c’est un homme très riche. Il est d’ailleurs beaucoup question de son argent tout au long du livre.

Mais l’amant n’est pas le seul protagoniste du livre. D’ailleurs, il prend de manière surprenante beaucoup moins de place que la mère de la narratrice, laquelle envahit chaque ligne du roman, y comprit les relations avec le jeune homme, qu’elle méprise pour son origine mais admire pour sa richesse. Elle le tolère auprès de sa très jeune fille pour cette seule raison.

J’ai mal tout à coup. C’est à peine, c’est très léger. C’est le battement du coeur déplacé là, dans la plaie vive et fraîche qu’il m’a faite, lui, celui qui me parle, celui qui a fait la jouissance de l’après-midi.

La mère, qualifiée de folle tout au long du roman, et dont la narratrice se méfie. La mère qui aimera de toutes ses forces un fils qui la vole et qui donnera sa fille à un riche banquier chinois. D’ailleurs, la frontière entre la mère protectrice et la mère proxénète qui achète des vêtements équivoques à sa fille encore très jeune est trouble dans chaque apparition du personnage. Il me semble que sa mère est un personnage assez marquant pour Marguerite Duras, et on la retrouve sous un autre jour dans Un barrage contre le Pacifique – que je prévois de lire un jour si j’ai l’occasion.

En tous cas, la mère de famille paraît être un personnage très ambigu duquel, je pense, tous les professeurs de français de France et de Navarre ont dû faire des analyses plus approfondis que tout lecteur naïf ne soupçonne même pas. Je pense en effet qu’il vaudrait le coup de relire L’amant en se détachant des pures émotions engendrées par le flot des mots et en se concentrant sur ce que l’autrice a à exprimer.

Je conseille L’amant :

  • aux amants de Littérature, celle avec un grand L, qui transporte, celle des mots qui touchent juste au bon endroit et qui ne manque jamais sa cible
  • ceux qui veulent lire une histoire d’amour tellement puissante qu’ils s’en relèveront meurtris
  • les curieux de lire un classique parmi les classiques (Goncourt 1984 tout de même !)

Marguerite Duras, de son vrai nom Marguerite Donnadieu, a connu un succès immense avec son roman L’amant, prix Goncourt en 1984. Elle est connue pour son écriture déstructurée.

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