La vieille jument avait décidé de mourir ici, après s’être enivrée des fleurs et des horizons de l’estive, comme si elle avait choisi son lieu et son moment. Il songea à Jean, qui serait aussi heureux que triste, de la savoir partie ainsi. Il lui dirait qu’il l’avait trouvée déjà entamée par les rapaces, reposant au milieu d’un tapis mauve de crocus éclos dans les derniers rayons de l’été. Il rentra à la cabane en pleurant, laissant les vautours, auxquels succéderaient les gypaètes, faire disparaître l’enveloppe charnelle de la jument. Il se plut à penser que son esprit allait désormais résider en ces lieux, dans l’herbe qui s’agitait sous la brise d’été, les rochers, les nuages, disséminés un peu partout, veillant l’estive. Cette mort-là était gracieuse, il en parlerait à ses filles, elles verseraient une larme mais elles comprendraient.
Cela se sent tout de suite : Clara Arnaud a passé des journées entières dans la montagne pour nous livrer ce joli roman qu’est Et vous passerez comme des vents fous, dans lequel elle croise savamment deux destinées : celles de Gaspard, un berger taciturne amoureux de ses bêtes, et d’Alma, une éthologue spécialiste des ours.
Je viens de la campagne, j’y suis très attachée, et le roman se déroule en Ariège, dans ma région natale. Par conséquent, j’avais une envie folle de trouver Et vous passerez comme des vents fous passionnant, je rêvais de m’enivrer des odeurs et de la vision de ces paysages pyrénéens magiques, je voulais désespérément y être sensible. Mais malgré le scénario novateur, le tout reste un peu trop contenu, un peu trop scolaire voire répétitif. D’abord, les personnages semblaient contraints à rentrer dans des boîtes bien trop petites pour l’immensité dans laquelle ils évoluent, et m’ont semblé tour à tour agaçants et clichés. Quant à la trame, je l’ai trouvé trop superficielle malgré le très bon traitement de la question plutôt contemporaine de la réintroduction de l’ours dans nos montagnes. J’ai finalement refermé le livre sur un goût de bâclé.
En revanche, je m’incline devant la plume organique et subtile de Clara Arnaud. Elle réussit à mobiliser les cinq sens à travers son exploration de la montagne. On sent bien qu’elle la connaît et qu’elle l’aime, son odeur, sa lumière, et surtout son vertige. Je me sentais transportée dans des paysages verdoyants, alors que je lisais dans le gris du février parisien. Je sentais l’odeur musquée de la fourrure de l’ours que masque à peine l’ambre des pins. Tout mon corps était comme à bord de falaise, bercé par le bruissement à la fois tonitruant et silencieux de la montagne.
La montagne éprouvait, elle faisait le tri entre ceux qui ne faisaient qu’y passer et ceux qu’elle accueillait, dont tout l’être, le corps se pliaient à ses caprices.
Malheureusement, la plénitude de ce biotope qu’elle affectionne tant a été contrebalancé par ma recherche incessante du Message. Est-ce un roman qui supporte ou qui critique la réintroduction de l’ours ? Clara Arnaud cherche-t-elle seulement à soulever la question sans y répondre ? Pourquoi avoir introduit Jules, jeune montreur d’ours du début du XXème siècle à la destinée tragique mais qui n’a aucun lien avec l’intrigue principale ? Peut-être n’y a-t-il pas de sens caché, peut-être suis-je trop cérébrale. Je dois toutefois applaudir la volonté de l’autrice de rendre visible au fil des pages la manière dont le changement climatique transforme les paysages et le travail du berger. Je suis très sensible à cette question-là et je l’ai trouvée plutôt bien amenée.
Je n’ai donc pas apprécié ce roman à sa juste valeur, ce qui est dommage, puisque je sais intimement qu’en un autre temps et un autre lieu il aurait pu me passionner. Peut-être que d’autres, moins attachés que moi à l’intrigue et aux personnages d’un roman, seront plus touchés par le talent littéraire de Clara Arnaud. Je me réserve l’idée de lire son autre roman, La Verticale du fleuve, paru en 2021 chez Actes Sud.
Et vous passerez comme des vents fous, Clara Arnaud. Editions Actes Sud, 2023.